Essai sur la nature et la fonction du sacrifice

Henri HUBERT, Marcel MAUSS,

paru dans la revue l’Année sociologique en 1899

dans son tome II, des pages 29 à 138

Henri Hubert et Marcel Mauss livrent ici un livre majeur sur le sacrifice, sa nature et sa fonction

Dans cette contribution, Henri HUBERT, Marcel MAUSS évoquent à de nombreuses reprises le bouc émissaire, tel que nous le considérons à l’Observatoire du Bouc Émissaire. Une lecture indispensable à ceux qui aiment catégoriser et comparer.

Table des matières

Introduction – préalable

Les anciennes théories du sacrifice (don, nourriture, contrat). – La théorie de M. Tylor. – La théorie de Robertson Smith. – Explication des piacula. – Explication du sacrifice-don. – Compléments apportés à la théorie par M. Frazer. – Doutes sur l’universalité du totémisme et sur l’existence du sacrifice totémique. – Le piaculum ne dérive pas du sacrifice communiel. – De la méthode adoptée. – Des faits choisis

I. Définition et unité du système sacrificiel.

– Le sacrifice et la consécration. – Le sacrifiant. – Les objets du sacrifice. – Le sacrifice et l’offrande. – La victime. – Définition du sacrifice. – Diverses sortes de sacrifices. – Identité fondamentale des types les plus divers. – Unité du système sacrificiel dans l’Inde. – Unité du système sacrificiel chez les Hébreux

II. Le schème du sacrifice.

– L’entrée. – l° Le sacrifiant. – La dîksâ. – Préparation du sacrifiant selon divers autres rituels. – 2° Le sacrificateur. – Ses aptitudes préalables.Précautions spéciales qu’il doit prendre. – La veillée du grand prêtre hébreu avant le Grand Pardon. – 3° Le lieu, les instruments. – Date. – Sanctuaires. – Préparation du lieu du sacrifice chez les Hindous. – Le poteau sacrificiel

– La victime. – Espèces désignées et qualités requises. – La toilette de la victime. – Rites préparatoires dont elle est l’objet une fois amenée au lieu du sacrifice. – Communication établie entre le sacrifiant et la victime. – La mise à mort. – Son caractère criminel et les propitiations auxquelles il donne lieu, – Rites divers du meurtre. – La renaissance et l’apothéose de la victime. – L’attribution des restes. – Parts divines. – Parts sacerdotales, – Cas où la destruction de la victime est complète. – Les expulsions ; le bouc émissaire. – Liens qui s’établissent entre le sacrifiant et la victime après le sacrifice : la communion. – Les droits du sacrifiant sur la partie de la victime qui lui revient sont limités. – Les suites de l’abattage dans le sacrifice animal hindou. – L’idâ communielle et la transsubstantiation. – Parallélisme entre les rites d’attribution aux dieux et d’utilisation pour les hommes. – Solidarité de ces rites
La sortie. – Élimination des derniers restes du sacrifice. Retour du sacrifiant au monde des hommes. – Le « bain d’emportement » qui suit le sacrifice hindou du soma. Rites analogues chez les Hébreux.

III. Comment le schème varie selon les fonctions générales du sacrifice.

– Des fins diverses du sacrifice. – Changement d’état chez le sacrifiant et les objets du sacrifice. – Cas où il s’agit d’acquérir des caractères sacrés : sacrifices de sacralisation. – Cas où il s’agit de sortir d’un état de consécration préalable. – Sacrifices expiatoires. – Sacrifices curatifs. – Le taureau expiatoire de Budra. – La sortie du naziréat. – Sacrifices de désacralisation. – Désacralisation des choses. – Les offrandes de prémices à Jérusalem. Double mécanisme du sacrifice. – Caractère complexe de la victime

IV. Comment le schème varie suivant les fonctions spéciales du sacrifice.

Sacrifices personnels. -Bénéfices acquis par le sacrifiant. La renaissance sacrificielle. Changement de nom au sacrifice. – Le sacrifice et la vie future. – Sacrifices objectifs. Sacrifices pour les constructions. – Sacrifice-demande. – Sacrifices agraires. – Divers
objets des sacrifices agraires. – Les Dipolia ou Bouphonia à Athènes. – Les Varuyapraghâsas. – Sacrifices pour la fertilisation de la terre. – Résurrection de la
victime. – De la suite ininterrompue des sacrifices agraires. – Sacrifices agraires devenant
sacrifices expiatoires. – De la multiplicité des effets du sacrifice

V. Le sacrifice du dieu.

– De la naissance du dieu dans le sacrifice. – Comment le sacrifice agraire, pris comme exemple, peut évoluer en sacrifice du dieu. – Étroite relation de la victime et de l’objet du sacrifice dans les sacrifices agraires. – Comment la victime prend une personnalité distincte. – L’apothéose. – La victime arrive déjà divine au sacrifice. – L’œuvre de la mythologie. – Le sacrifice mythique du dieu : il se rattache à des cultes sacrificiels. Suicide divin. – Sacrifice du prêtre. -Combats divins. Alternance du suicide et du combat. – Parenté des deux ennemis. – Parenté des dieux et des animaux qui leur sont associés, – La divinité descend au sacrifice réel. – Périodicité du sacrifice divin. – Parallélisme du sacrifice du dieu et du sacrifice au dieu. – Le sacrifice du soma comme sacrifice du dieu. – Cosmogonie et cosmologie sacrificielles

VI. Conclusion.

– Raisons de l’unité foncière du système sacrificiel. Complexité des sacrifices réels. – Thèmes associés. Définition du sacrifice. – De l’intermédiaire qu’est la victime. – Pourquoi cet intermédiaire est-il nécessaire ? – De l’abnégation et du gain dans le sacrifice ordinaire. – De l’abnégation totale dans le sacrifice du dieu. – Choses sacrées et réalités sociales. -Utilité sociale du sacrifice

L’observatoire du bouc émissaire recommande cette lecture de fond, « essai sur la nature et la fonction du sacrifice » qui explique en grande partie les tenants et les aboutissants du rite du bouc émissaire.

Le texte commence ainsi :

Nous nous sommes proposé dans ce travail de définir la nature et la fonction
sociale du sacrifice. L’entreprise serait ambitieuse si elle n’avait été préparée par les recherches des Tylor, des Robertson Smith et des Frazer. Nous savons tout ce que nous leur devons. Mais d’autres études nous permettent de proposer une théorie différente de la leur et qui nous paraît plus compréhensive. Nous ne songeons pas d’ailleurs à la présenter autrement que comme une hypothèse provisoire : sur un sujet aussi vaste et aussi complexe, des informations nouvelles ne peuvent manquer de nous amener, dans l’avenir, à modifier nos idées actuelles. Mais, sous ces réserves expresses, nous avons pensé qu’il pourrait être utile de coordonner les faits dont nous disposons et d’en donner une conception d’ensemble.

Le texte se termine ainsi :

Au reste, on a pu voir, chemin faisant, combien de croyances et de pratiques
sociales, qui ne sont pas proprement religieuses, se trouvent en rapports avec le
sacrifice. Il a été successivement question du contrat, du rachat, de la peine, du don, de l’abnégation, des idées relatives à l’âme et à l’immortalité qui sont encore a la base de la morale commune. C’est dire de quelle importance est pour la sociologie la notion du sacrifice. Mais, dans ce travail, nous n’avions pas à la suivre dans son développement et à travers toutes ses ramifications. Nous nous sommes simplement donné pour tâche de chercher à la constituer.

On y trouve à propos de James George Frazer :

Il constata en même temps que, souvent, le vieux dieu ainsi sacrifié paraissait, peut-être à cause des tabous dont il était chargé, emporter avec lui la maladie, la mort, le péché et jouait le rôle de victime expiatoire, de bouc émissaire. Mais, bien que l’idée d’expulsion fût marquée dans ces sacrifices, l’expiation paraissait encore sortir de la communion. M. Frazer s’est plutôt proposé de compléter la théorie de Smith que de la discuter.

On y trouve aussi, sur la dimension expiatoire du rite :

D’autre part, il est arrivé que les rites de désacralisation (de l’objet, du sacrifiant) prenant une place prépondérante, le rite tout entier pouvait prendre, comme l’a montré M. Frazer, le caractère d’un véritable sacrifice expiatoire. L’esprit du champ qui sortait de la victime y revêtait les espèces d’un bouc émissaire. La fête agraire devenait une fête du Pardon. Souvent en Grèce, les mythes qui racontaient l’institution de ces fêtes les représentaient comme l’expiation périodique de crimes originels. C’est le cas des Bouphonia.

On y trouve ce qui fait écho à notre article consacré au bouc émissaire dans la Bible :

Pour notre étude du sacrifice biblique, nous prendrons pour base le Pentateuque. Nous n’essayerons pas d’emprunter à la critique biblique les éléments d’une histoire des rites sacrificiels hébreux. D’abord, les matériaux sont, à notre sens, insuffisants. Ensuite, si nous croyons que la critique biblique peut constituer l’histoire des textes, nous refusons de confondre cette histoire avec celle des faits. En particulier, quelle que soit la date de la rédaction du Lévitique et du Priestercodex en général, l’âge du texte n’est pas, selon nous, nécessairement l’âge du rite ; les traits du rituel n’ont peut-être été fixés que tardivement, mais ils existaient avant d’être enregistrés.
Ainsi nous avons pu éviter de poser, à propos de chaque rite, la question de savoir s’il appartenait ou non à un rituel ancien. Sur la fragilité d’un certain nombre des conclusions de l’école critique,
(…)
.

Sur le bouc émissaire, Henri Hubert et Marcel Mauss ont leur mot à dire
L’observatoire du bouc émissaire s’intéresse à la pensée de Henri Hubert et de Marcel Mauss dans leur livre « essai sur la nature et la fonction du sacrifice »

Le texte complet sur le site de l’UQAC : ici

Le compte rendu proposé par Mathilde Fois-Duclerc : ici

Le résumé proposé par les libraires :

À travers l’étude du sacrifice, Hubert et Mauss s’intéressent au sacré et au rapport au sacré. Cette étude ouvre une fenêtre sur la nature de la société puisque les choses sacrées sont choses sociales. À partir de l’idée de l’unité générique du sacrifice, la démarche suppose de s’intéresser à toutes les formes de sacrifices rituels pour en tirer le schème général. Ce parti pris méthodologique comparatiste, issu de l’école durkheimienne, fait toute l’originalité de l’essai à son époque et sa pertinence de nos jours, évitant les spéculations généalogiques qui établiraient l’antériorité d’une forme sur une autre. Ce texte classique permet de formuler une série de questions toujours actuelles pour l’ethnographie.